« Contribuer à la PPE est d’abord une histoire de parti pris. J’en ai pris deux: Dépasser le cadre
des 4 pages imposées....
…Réduire une argumentation sur un sujet aussi complexe en un espace aussi court revient à l’appauvrir et la vider de toute substance. Cela incite à en réduire la dimension systémique qui est pourtant la plus importante.
Voici donc:
Pour clarifier le débat, la compréhension des enjeux et donc l’adoption des orientations, il me semble utile de distinguer deux transitions énergétiques:
Il me semble essentiel de clarifier ces deux enjeux pour éviter les arguments du type: « cela ne sert à rien de remplacer le nucléaire par des énergies renouvelables car cela n’a aucun impact sur les émissions de CO2 » qui se justifient si on considère uniquement la première transition et qui n’ont pas de sens si on considère qu’on a bien deux transitions énergétiques à gérer en parallèle.
Pour ma part, les deux transitions s’imposent. L’avancée de l’une conditionne l’avancée de l’autre: elles sont indissociablement liées.
Pourquoi réduire la part du nucléaire?
Quand on évoque l’énergie nucléaire, plusieurs points plaident en faveur de la réduction de sa part dans le mix énergétique de la France:
D’autres points méritent d’être pris en compte car ils sont autant de raison de reculer devant la réduction de la part du nucléaire dans notre mix énergétique:
En prenant un peu de recul, les raisons en faveur d’une réduction de la part du nucléaire ont un caractère certain, obligatoire, inévitable. Les arguments en faveur du maintien d’une part importante peuvent trouver des solutions.
Pour l’ensemble de ces raisons, je plaide pour une réduction progressive et programmée du nucléaire, en étant conscient que cela nécessitera quelques décennies et que l’objectif d’une part de 50% de l’énergie nucléaire dans le mix français est une premiere étape.
Comment réduire la part du nucléaire?
Deux observations structurent la réponse qu’il est possible d’apporter à cette question:
La part extrêmement importante (près de 75%) de la production électrique française détenue par le nucléaire conduit à une situation délicate et très particulière, sur laquelle je reviens ci-dessous.
D’autre part, les actions d’efficacité énergétique que nous menons et allons amplifier avec succès dans un proche avenir, induisent une évolution à venir de la consommation électrique française en très faible hausse voire en baisse, ce qui signifie que notre pays n’a pas de besoins notoires de capacités de production électrique supplémentaires.
Dès lors, la sortie du nucléaire et le développement des énergies renouvelables sont parfaitement conformes à l’histoire de la poule et de l’oeuf: les énergies renouvelables se développent lentement car il n’y a pas de place pour des investissements rentables compte tenu de la part tenue par le nucléaire et le nucléaire doit assurer la pérennité de sa part de production en l’absence de relais suffisant pris par les énergies renouvelables. Cette situation fournit des arguments tout à fait valables pour justifier l’immobilisme et le statu-quo.
Le seul moyen de sortir de ce cercle vicieux est de programmer l’arrêt progressif de centrales nucléaires et de faire respecter l’échéancier décidé, afin d’offrir un horizon d’opportunités réelles aux énergies renouvelables; sinon, le développement des énergies renouvelables se fera, peu ou prou, au rythme des fermetures des centrales en fin de vie.
Afin d’être crédible et adopté par tous, l’échéancier d’arrêt des centrales nucléaires doit tenir compte:
Les acteurs concernés par cet échéancier ne sont pas différents de tous les autres: ils sont, pour la plupart, réticents au changement. Les arguments qu’ils développeront pour fixer cet échéancier viseront à retarder au maximum les changements dont en focalisant leur communication sur les quelques avancées concédées pour prouver leur bonne foi et leur volonté d’avancer. Il est donc nécessaire d’avoir un collège d’experts pour contrer cette tendance: de manière collégiale et neutre, il déterminera l’impact admissible de chaque argument sur l’échéancier.
Sans avoir fait d’évaluation précise, il me semble que nous pourrions, sur un plan technique, être plus ambitieux que le seul arrêt de Fessenheim d’ici à 2029 et atteindre une part de 50% de nucléaire autour de 2035, avant d’envisager de nouvelles étapes lors des décennies suivantes.
Pour autant, il me semble difficile voire impossible d’éviter la construction de nouvelles centrales en développant suffisamment de capacités de production à base de nouvelles énergies, suffisamment vite, avec toutes les caractéristiques requises pour que le dispositif énergétique national fonctionne.
A ce propos, il me semble dommageable pour le débat public d’avoir publié des études concluant à la faisabilité d’un scénario 100% renouvelable à horizon 2050, basées sur des hypothèses ne représentant pas la réalité et ne garantissant pas le fonctionnement global du système énergétique français.
Compte tenu de la durée très longue de cette initiative:
Conserver un mix énergétique à faible taux d’émission de CO2
Conserver notre performance en terme de taux d’émission de CO2 est une option conservatrice. Nous sommes parmi les bons élèves de l’Europe, mais n’oublions pas que la Suisse et surtout la Norvège ont une bien meilleure performance.
Il serait légitime que la France tente de se rapprocher de ces leaders, surtout si nous voulons nourrir l’espoir de développer notre industrie dans le domaine de l’énergie.
Pour cela, il est essentiel:
De plus, l’enjeu de la « décarbonisation » de l’énergie française ne doit pas être raisonnée en se limitant à la production électrique. Les enjeux principaux se situent dans le domaine des applications thermiques et de la mobilité.
La « desélectrification » des applications thermiques
Les applications thermiques électriques ne sont plus, aujourd’hui, par exemple dans le cas d’immeubles de logements collectifs ou de bureaux, ni les plus économiques ni les plus efficientes.
Le développement des réseaux de chaleur suppose, pour être « rentable » une certaine « densité » de consommation d’énergie thermique par mètre linéaire de canalisation de distribution, donc une certaine densité urbaine.
Ils sont appelés à prendre une place croissante, voire prépondérante dans les nouveaux quartiers.
Chaque réseau de chaleur renforce la dimension locale des systèmes énergétiques et de leur gouvernance et donne accès à des sources d’énergie non centralisées.
Le développement obligatoire de solutions alternatives de mobilité
On peut voir dans la mutation de l’industrie automobile vers les véhicules électriques voire à hydrogène la réponse au défi qui nous est posé dans ce domaine. Je pense que cette réponse technologique est insuffisante: en parallèle, il faut faire évoluer profondément nos habitudes de mobilité:
Il y a très certainement des services qu’il faut analyser et faire évoluer car ils ont très probablement un impact non négligeable sur les habitudes de transport (choix d’un mode de transport davantage que distance parcourue) comme les crèches.
Autant de solutions dont la plupart seront portées par les villes et les collectivités territoriales.
L’importance de l’efficacité énergétique
L’efficacité énergétique doit être le pivot de notre politique énergétique car, quel que soit le mix énergétique, l’efficacité énergétique s’avère déterminante. Les bénéfices que nous en tirerons sont multiples et peuvent l’objet de CHOIX:
Toutes les initiatives en faveur d’une meilleure efficacité énergétique doivent donc être favorisées, notamment par une règlementation simple, adaptée, ouverte, permettant une action rapide:
Comment atteindre nos objectifs?
L’objet de la PPE me semble être surtout désormais de réunir les conditions nécessaires à:
Partons pour cela d’un état des lieux :
Les actions propres à une filière sont en général plutôt bien menées: dans notre pays, les filières sont structurées et actives.
Les actions transverses sont en retard et ont des difficultés à avancer: le poids des filières est important tout comme leur tendance à se défendre. En outre, en France, nous avons peu la culture du dialogue mais davantage celle de l’affrontement. Notre culture et nos structures ne favorisent donc pas la transversalité désormais obligatoire à l’atteinte de nos objectifs.
Le marché français est dominé par des grands acteurs nationaux et, comme dans tous les pays ayant la même caractéristique, leur influence est déterminante pour accélérer les changements si telle est leur intérêt et leur stratégie, pour les freiner dans le cas inverse.
Atteindre nos objectifs demande, de mon point de vue, un certain nombre de dispositions d’accompagnement indispensables.
Faire évoluer la gouvernance de l’énergie pour développer une dimension locale forte
Eu égard aux impacts de l’énergie sur la vie du pays,
il est essentiel que « l’état » (dans ses dimensions nationales et locales) dirige davantage la politique énergétique. En fixant un cadre et des orientations claires, elle permettra à l’ensemble des entreprises énergétiques de bâtir leur propre stratégie au service de leur développement et de leur pérennité.
Il est à la fois vital de laisser à ces entreprises le temps de se transformer mais il est dramatique de ralentir notre pays pour attendre ceux qui ne se sont pas transformés.
Je suis en faveur de la mise en place d’une gouvernance nationale globale de la transition énergétique:
Je suis aussi en faveur de la mise en place d’une gouvernance locale globale de l’énergie dans toutes les métropoles et tous les départements:
Dans tous les cas, les modes de décision ne doivent pas permettre à un type d’acteur d’imposer son point de vue, afin que l’économie, les acteurs de l’énergie, les consommateurs ne soient pas implicitement les otages d’un acteur particulier.
Il est indispensable que les représentants des deux niveaux de gouvernance se rencontrent et se coordonnent à fréquence annuelle.
Bâtir un plan de développement de l’industrie française de l’énergie
Car la transition énergétique n’est pas seulement l’évolution du mix énergétique, c’est la transformation de l’ensemble de l’écosystème énergétique, acteurs compris.
Les taux d’adoption de chaque énergie renouvelable en France sont faibles, en comparaison avec les pays leaders en Europe. Un tel niveau de marché n’est pas suffisant pour faire émerger des champions pour chacune d’elles.
Je suis en faveur d’un plan national en faveur de l’industrie de l’énergie. Nous sommes déjà distancés dans les domaines solaires et éoliens mais nous avons encore des places à prendre, dans de nombreux domaines, parmi lesquels, sans que la liste suivante soit exhaustive:
Nous avons là de quoi créer une vraie dynamique apte à compenser l’inéluctable érosion de la filière nucléaire.
Nous devons pour cela nous tourner vers l’avenir et nous inspirer du sport: une équipe nationale gagnante, en handball ou en football, regroupe des joueurs expérimentés et des jeunes joueurs prometteurs. Il ne vendrait à l’idée de personne de sélectionner aujourd’hui Michel Platini ou Jackson Richardson en se persuadant que, bien entrainés, ils nous permettraient encore de gagner. Le sélectionneur qui se risquerait à un tel pari serait immédiatement évincé. Pourquoi tombons-nous dans ce travers quand il s’agit d’énergie? Pourquoi nous persuadons-nous qu’il faut mettre sous perfusion des technologies qui ne cessent de régresser? Pourquoi les voyons-nous encore comme des technologies d’avenir? En sport, nous n’aurions aucune chance de victoire. Sur les marchés, notre industrie est en route pour un sort identique …. à moins que nous changions nos sélectionneurs et nos modes de sélection.
Les très grands industriels ont les mêmes enjeux et les mêmes difficultés de transformation que ceux que j’évoque dans ce papier. De plus, le barycentre de leur développement n’est plus en France, ni même en Europe. Ils ne sont donc pas les piliers incontournables d’un tel plan. Il ne faut pas faire reposer la réussite d’un tel plan exclusivement sur eux. Par contre, les start-ups et les ETIs françaises sont un vivier qu’il faut développer et faire fructifier.
Les emplois générés par ce plan ne doivent pas être un objectif théorique, objet de discussions sans résultat; ils seront le résultat certain d’une stratégie industrielle bien menée.
Promouvoir la finance verte
Le financement de la transition énergétique est un enjeu majeur. L’envisager à travers le seul prisme des subventions publics en fait un obstacle à une avancée rapide.
Plusieurs leviers méritent d’être développés:
La finance verte peut être développée sous deux aspects:
Certains modes de financement fonctionnent comme des pompes à chaleur, qui nous émerveillent pour leurs capacités techniques et économiques: les contrats de performances énergétiques, par exemple, permettent un effet de levier du même ordre en stimulant, en le sécurisant, l’investissement privé.
Pour cela, les modes de fonctionnement public-privé doivent évoluer pour faire une place à l’innovation, aux évolutions de fonctionnement donnant accès à des services aux habitants et à l’économie plus développés. Il ne s’agit plus d’assainir une relation de client-fournisseur en stimulant le choix du fournisseur privé le moins cher parmi un panel offrant peu ou prou le même niveau de prestation. Il s’agit désormais de permettre une relation plus équilibrée entre des partenaires publics et privés qui donne accès à un optimum global économique et de performance.
Engager les acteurs
Cet enjeu est complexe, à tel point que beaucoup d’initiatives, lancées dans ce sens dans le passé, ont réduit leurs ambitions. Nous ne pouvons plus reculer et sommes contraints à être créatifs et inventifs. Si l’objectif est identique pour toutes les cibles, les moyens de l’atteindre diffèrent: engager des particuliers ou des professionnels ne demande pas d’actionner les mêmes leviers.
Engager les particuliers
Pour ces consommateurs, les économies d’énergies dépendent d’une évolution des logiques d’achat (l’évolution des normes et de la règlementation peut avoir une forte incidence directe) et d’une évolution des comportements, plus difficile à maîtriser. Il est indispensable de s’attaquer tôt à cet enjeu, non pas pour sa contribution aux économies à réaliser dans les prochaines années mais pour éviter, dans un futur proche, que des résultats acquis soient annihilés par des comportements non vertueux.
Plusieurs observations permettent d’esquisser des axes d’action pour influencer les comportements:
Tous les citoyens n’ont pas les mêmes motivations pour s’engager: certains sont sensibles au critère économique, d’autres agissent en conformité avec des valeurs fortes comme le respect de l’environnement, la majorité mettent leur confort en priorité, notamment celui procuré par un désintérêt total vis à vis de l’énergie. Les énergéticiens et les collectivités territoriales sont probablement les acteurs les mieux placés pour activer chacun de ces leviers.
Faire appel à des logiques de conformité sociale ou de valorisation peut accélérer l’engagement.
Les aides financières peuvent stimuler une évolution des comportements d’achat mais une bonne cohérence d’action entre les acteurs de l’énergie et les collectivités locales sont la clé du succès de l’évolution des comportements.
Parmi les mesures d’accompagnement nécessaires, il me semble inévitable de lancer un plan d’éducation à la transition énergétique et écologique dans les écoles avec cours, conférences, visites et projets concrets. Certaines évolutions prendront une génération ou passeront par l’influence des enfants sur leurs parents.
Engagement des entreprises
Les entreprises répondent à des logiques d’affaire: elles attendent des retombées économiques de chaque décision et de chaque investissement (pour peu que les gains ne soient pas compensés par le coût des efforts à consentir pour les obtenir), un gain de notoriété via des certifications, labels et promotions diverses, ou des accès privilégiés à certains marchés.
Les marchés, notamment publics, pourraient être attribués en prenant en compte un critère d’engagement énergétique et écologique de chaque candidat, pesant pour 50% de la note finale et émanant d’un barème reconnu par tous.
Créer les conditions techniques de l’atteinte de nos objectifs
Développer les énergies renouvelables, principalement intermittentes, modifier le comportement des consommateurs, ne peut se faire sans conséquence sur les systèmes énergétiques et donc, sans les adapter à ces nouvelles conditions d’exploitation.
Aujourd’hui, trop souvent, les systèmes en place ont tendance à imposer leur logique plutôt que de s’adapter: par exemple, un gestionnaire de réseau de distribution a tendance à peser pour que son financement via le TURPE ou son équivalent ne soit pas réformé et continue de le rémunérer, au détriment du développement de l’autoconsommation, principalement collective.
Trois plans me semblent nécessaires au risque de rendre difficiles voire impossibles les évolutions envisagées.
Organiser la dynamique collective et favoriser son développement
En complément des niveaux national et local de gouvernance décrits plus haut, plusieurs dispositions peuvent contribuer au développement de la dynamique collective souhaitée:
Conclusion
En conclusion, la transition énergétique et la PPE donnent à la France l’occasion de créer une vraie dynamique économique autour de l’énergie.
En tant que simple citoyen, j’attends que nous arrivions à dépasser nos certitudes, à faire confiance aux innovateurs de ce pays, à notre capacité de recherche et de développement. J’attends que nous ne nous tournions plus seulement vers les plus grands acteurs pour bâtir notre avenir énergétique mais que nous sachions fédérer, de manière harmonieuse l’ensemble des initiatives. J’attends enfin la mise en place d’une gouvernance nouvelle à deux niveaux, nationale et locale, permettant une action à la mesure des enjeux et nous permettant de toujours plus accélérer nos actions en réponse au défi climatique. J’attends enfin l’instauration d’un mode de fonctionnement plus consensuel pour éviter que les excès et les certitudes à propos du nucléaire ne soient remplacées dans l’avenir par des excès et des certitudes similaires à propos de certaines énergies renouvelables.
Pour faire évoluer le dispositif actuel basé sur une forte intervention de l’état dans de nombreux domaines, deux « stratégies » se présentent: