Paris EUROPLACE considère que le marché du financement des infrastructures connait une situation préoccupante. Nous constatons de très grandes convergences...
…avec nos propres travaux, et présentons ici les principaux éléments du rapport récemment publié, intitulé « Marché mondial des infrastructures, consolider l'offre de la place financière de Paris ».
Nous reprenons, en annexe de notre article, les constats et recommandations qui ont été élaborées par Paris EUROPLACE.
Ceux ci ont étéélaborés, à la demande de Gérard Mestrallet, Président de Paris EUROPLACE, par un groupe de travail animé par Jean Beunardeau, Directeur Général de HSBC France, et composé des parties prenantes associées au financement des infrastructures.
Rappelant que la Place de Paris - dans ses composantes industrielle et financière - a une tradition d’excellence, une position concurrentielle forte, et de très solides atouts qui devraient lui permettre de la maintenir, le rapport considère que - même si la plupart des grandes infrastructures ont déjà atteint un bon niveau de réalisation dans les pays développés - ce marché va évoluer considérablement au cours des années à venir.
Révolution digitale, transition énergétique et croissance
En effet la révolution digitale de l’économie et la transition énergétique dans des délais resserrés conduiront à des innovations et changements importants.
Parallèlement, la réalisation d’investissements dans ces domaines contribuerait utilement à soutenir la conjoncture économique, dans un contexte de bas taux d’intérêt qui favorise la mise en place des financements à long terme inhérents à ce type d’activité.
Au niveau Européen, le Plan Juncker va contribuer à accélérer le rythme de réalisation des investissements et augmenter la mobilisation du capital privé en Europe, tandis que, dans les pays émergents, les besoins déjà considérables de développement d’infrastructures existant vont être encore accrus par la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique.
La France pénalisée malgré les perspectives européennes et mondiales favorables
La compétitivité de la France, et donc sa capacité à tirer parti de ces développements du marché des infrastructures, est actuellement menacée par l’évolution défavorable du marché français dans ce domaine.
Au niveau de l’Etat, on constate depuis quelques années une éviction des dépenses d’investissement par les dépenses de fonctionnement conduisant à un quasi asséchement du marché des infrastructures ; en parallèle, en France, de fortes hésitations, voire de la méfiance, demeurent vis-à-vis des contrats globaux faisant appel à la gestion et aux financements privés (en particulier les contrats de partenariat public privé) alors que ces formes contractuelles se développent dans la plupart des autres pays.
Les collectivités locales pour leur part - qui devraient voir leurs capacités d’investissement préservées par l’existence de la « golden rule » (c’est-à-dire le fait de n’être autorisé à s’endetter que pour investir) - connaissent également un très fort ralentissement des investissements (la Cour des Comptes évoque une baisse allant de 15 à 20 %) et une même réticence à associer pleinement les partenaires industriels et financiers dans des contrats globaux de partenariat.
Un savoir-faire et des expertises menacés de disparition
Face à ce constat préoccupant - et en particulier face au risque de voir l’arrêt du marché domestique des infrastructures conduire à la disparition progressive des équipes industrielles et financières de la Place de Paris spécialisées dans ce domaine -, le Groupe de travail a effectué des propositions en vue d’une relance du marché français et, à cette fin, de la définition d’une politique assumée et techniquement maîtrisée de sélection de projets et de choix de modes de réalisation faisant appel au secteur privé.
Priorité aux infrastructures d’intérêt général
Le Groupe a concentré ses travaux sur les infrastructures d’intérêt général - production transport et distribution d’électricité, infrastructures et équipements de transport, réseaux de télécommunication à très haut débit, services urbains, équipements sociaux, etc. - dont la mise en œuvre fait appel à des montages en financement de projets, c’est-à-dire en excluant les marchés publics classiques, et en s’intéressant aux concessions, affermages, Partenariats Public Privé et tous modèles économiques analogues.
Deux priorités
Faire émerger les besoins dans les différents marchés sous la forme de projets finançables ou « bancables », c’est à dire pertinents au plan socio-économique et structurés de manière à permettre l’intervention du secteur privé - au plan industriel et financier - dans des conditions de risque et de rendement acceptable.
Mettre en place les moyens d’accroître l’efficacité et la compétitivité de « l’écosystème » français afin de conserver, voire conforter, la position de leader européen en matière de financement d’infrastructures.
Jean Armand
CONSTAT ET RECOMMANDATIONS
1. Le constat
• Une tradition d’excellence de la Place de Paris, dans le financement comme dans la réalisation des infrastructures : transports, infrastructures sociales, production et distribution d’énergie, équipements urbains et liés à la protection de l’environnement, et télécommunications (en particulier les réseaux à très haut débit) ;
• Des évolutions très marquantes des besoins dans les années qui viennent, notamment dans le domaine de la transition énergétique ;
• Une impulsion notable au niveau européen par le Plan Juncker et les outils financiers coordonnés par la BEI, et des besoins considérables dans les pays émergents, encore renforcés par l’impératif de la lutte contre le réchauffement climatique ;
• Mais la compétitivité de la Place de Paris mise à mal par l’évolution défavorable du marché français, marquée au niveau de l’Etat par l’éviction des dépenses d’investissement et une réticence vis-à-vis de contrats globaux orientés vers la gestion et le financement privés, et au niveau des collectivités locales par un net ralentissement des investissements ;
• En conséquence, un risque de perte d’expertise, voire de disparition progressive des équipes industrielles et financières spécialisées dans les infrastructures ;
• La nécessité de relancer le marché français et, dans cette optique, de définir une stratégie d’investissement public dans les infrastructures, une gouvernance publique homogénéisée, ainsi qu’une politique de sélection de projets et de choix de modes de réalisation faisant appel au secteur privé ;
• L’importance également de dégager les moyens d’accroître la présence des équipes françaises sur les marchés d’infrastructures européens et émergents ;
• Des ressources financières aujourd’hui largement disponibles, mais encore à optimiser : une offre bancaire revenue après une période de raréfaction marquée, une offre institutionnelle en dette et en equity maintenant bien établie mais se heurtant encore à des contraintes réglementaires, et des outils publics à utiliser au mieux et à compléter pour l’exportation.
2. Les recommandations
A . MIEUX CONNAITRE LES DIFFERENTS MARCHES, ET CONTRIBUER A FAIRE EMERGER DANS CHACUN D’EUX DES PIPELINES DE PROJETS FINANCABLES
Le marché français
1. Consolider la stratégie d’investissement public dans les infrastructures :
• Faire émerger, sous l’égide notamment du Commissariat Général à l’Investissement et de la MAPPP, une liste précise de projets robustes, pour lesquels le meilleur mode de réalisation a été établi (MOP, concession, ou schéma de type PPP), assumés budgétairement (dans un cadre budgétaire de moyen terme) avec une attention particulière aux domaines liés au développement durable et notamment à la transition énergétique. Porter cette liste à la connaissance des acteurs sous forme d’un pipeline largement diffusé
• Mettre à jour les méthodes et paramètres d’analyse des TRI socio-économiques des projets d’infrastructure (analyse d’impact), notamment pour y intégrer les « externalités climat »
• Permettre la réalisation des « petits projets » en les agrégeant sous l’égide de collectivités publiques leaders, ou par la création de structures mutualisant les compétences de maîtrise d’ouvrage, d’accords-cadres de PPP permis par la nouvelle ordonnance sur les marchés publics, la recherche d’une standardisation des contrats, ou l’émergence d’acteurs spécialisés (plateformes d’agrégation).
2. Optimiser la structuration des projets proposés au marché :
• Utiliser pleinement les nouveaux cadres juridiques : pour les « infrastructures contractuelles », les autorités adjudicatrices doivent s’approprier pleinement les outils contractuels issus de la transposition en cours des Directives Marchés Publics et Concessions ; pour les « infrastructures régulées », le régulateur doit agir de façon lisible et équilibrée
• Optimiser l’allocation des risques entre personnes publiques et partenaires privés, en minimisant les risques administratifs, fiscaux et judiciaires, et en limitant le risque technologique (par appel à des technologies éprouvées ou en laissant à la personne publique une part des risques liés à l’emploi de technologies nouvelles) et le risque commercial (la personne publique pouvant éventuellement en conserver une partie)
• Expliciter et si nécessaire compléter la boîte à outils des soutiens publics (subventions, partages contractuels des risques, garanties, prêts des banques publiques, éventuellement subordonnés), à mobiliser en fonction du niveau de risque des projets
• Structurer les appels d’offres de manière à permettre le financement de projets indifféremment par les banques ou les investisseurs institutionnels, et faire pour cela évoluer tant les textes des appels d’offres que les réflexes des autorités adjudicatrices, en vue d’une diversité maximale en matière d’offres de financement.
3. Encadrer le processus dans une gouvernance publique homogénéisée:
• Assurer une vision interministérielle, améliorer la coordination entre Etat central et collectivités locales pour une bonne insertion des projets locaux dans une stratégie globale d’investissement (avec, pour les réseaux, mise en cohérence via des normes techniques d’interopérabilité et des standards contractuels). Favoriser la capitalisation des compétences des maîtres d’ouvrage et autorités adjudicatrices, tant par le regroupement des compétences des personnes publiques que par des actions de formation
• Agir pour simplifier et accélérer l’ensemble du processus (choix du mode de réalisation et sélection des groupements), notamment en établissant une rédaction type de certaines clauses communes et en constituant des équipes de négociateurs publics expérimentés
• Elargir dans cette optique le rôle et les missions de la MAPPP pour en faire une véritable « entité pivot » d’expertise, dotée de moyens adéquats
• Faire baisser le taux de litiges et raccourcir les délais de procédure (élargir les avancées initiées en matière d’autorisations d’urbanisme ouvrant la possibilité de régulariser avant jugement, et statuer dans les meilleurs délais sur la recevabilité de la requête).
Les marchés européens
4. Se mettre en position de tirer pleinement parti du Plan Juncker :
• Tirer parti de l’ensemble du dispositif du Plan Juncker : modalités de financement et de garantie, fonctionnement du FEIS et articulation avec la BEI, rôle de l’advisory hub, coopération entre la BEI et les banques promotionnelles nationales
• Accompagner activement la montée en puissance du Plan au travers d’un suivi des projets financés (en capitalisant sur l’expérience européenne et française en matière d’analyse socio- économique et d’élaboration de pipelines de projets) et à financer dans les différents pays de l’UE, et au travers de propositions de projets nouveaux
• Porter une attention particulière aux plateformes d’intégration des petits projets pour permettre à ceux-ci d’accéder au mécanisme du FEIS.
5. S’intéresser également aux autres concours financiers mis en place par l’UE :
Ressources mobilisables par la Commission pour les réseaux transeuropéens de transport et d’énergie (Connecting Europe Facility), programme Horizon 2020 soutenant la R&D en Europe, et Fonds régionaux (dont la gestion est aujourd’hui largement décentralisée).
Les marchés émergents
6. Définir une stratégie de pénétration des marchés émergents :
• Améliorer la connaissance des principaux marchés : contexte politique, financier, économique et social de chaque pays ; planification des investissements ; structuration juridique et financière des projets (législation locale sur les marchés publics et les PPP, mécanismes de garantie publique, …)
• Définir et mettre en place une stratégie de diplomatie économique sur ces marchés, en identifiant dans chaque pays cible les décideurs, en organisant des programmes de formation ciblés pour les familiariser avec le modèle français de la DSP et des PPP, en mobilisant en France et localement l’ensemble des entités publiques françaises concernées (les ministères et leurs représentations locales, AFD, Bpifrance, Business France, France Expertise, …), et au final en élaborant de véritables plans d’action pour chaque pays.
7. Faciliter l’accès des PME et ETI à ces marchés :
• Faciliter, comme en France et en Europe, le développement des petits projets dans ces marchés
• Améliorer l’information des PME sur ces marchés et leur en faciliter l’accès au travers d’actions de soutien des agences publiques (particulièrement Business France et Bpi International)
• Soutenir financièrement les PME dans leur approche commerciale, au travers particulièrement des dispositifs « assurance prospection » et « prêt croissance international ».
B. DEVELOPPER L’ECOSYSTEME FINANCIER DE LA PLACE DE PARIS POUR ACCROITRE SA PART DE MARCHE GLOBALE
Veiller au maintien de l’attractivité de la Place de Paris comme pôle d’excellence dans le domaine des infrastructures
8. Maintenir impérativement un pipeline de projets français, entretenir l’atout fondamental que constitue un marché domestique d’infrastructures aux yeux d’investisseurs étrangers en equity et dette, et consolider la crédibilité du « modèle français » de PPP et de gestion déléguée au sens large pour le promouvoir à l’international.
9. Garantir à long terme « l’égalité géographique » (level playing field) et la stabilité du cadre légal, réglementaire et fiscal, critères de choix essentiels pour les investisseurs étrangers, particulièrement dans une activité à cycle long comme les infrastructures ; assurer l’égalité et la stabilité de traitement pour les projets tout au long de leur existence, tant pour les infrastructures contractuelles avec l’impératif de la non rétroactivité de mesures notamment fiscales, que pour les infrastructures régulées sur la base d’une culture de la régulation stable et rassurante.
10. Maintenir une forte vigilance sur les débats européens concernant l’investissement institutionnel, particulièrement :
• Solvency 2, dispositif pour lequel des améliorations ont été introduites (création d’une classe d’actifs infrastructures à charge en capital réduite, même si les critères d’inclusion sont complexes), mais pour lesquels des difficultés demeurent : exclusion des corporates d’infrastructures, non prise en compte des couvertures de risque par les agences de crédit export et les organismes multilatéraux, ou encore non application d’un traitement spécifique au mécanisme de Cession Dailly
• De même, un traitement spécifique devrait être mis en place dans la réglementation prudentielle applicable au secteur bancaire avec un allègement de la charge en capital pour les financements d’infrastructures, à l’image de ce qui est proposé pour Solvency 2
• La mise en œuvre en France de la réglementation ELTIF sur les fonds d’investissement à long terme, dans un format adapté aux sociétés de gestion d’actifs dans le domaine des infrastructures, et de façon plus globale le projet d’Union des Marchés de Capitaux pour l’application des financements de marché aux infrastructures.
Utiliser et développer les instruments multilatéraux, européens et français de soutien public, en veillant à leur complémentarité par rapport aux interventions privées
11. Développer une parfaite maîtrise de ces mécanismes, nombreux et variés, de soutien public, qu’ils proviennent d’entités existantes (agences de crédit export, institutions multilatérales, banques promotionnelles nationales), en cours de création (FEIS, BAII, BRIC, GCF), ou à faire évoluer (avec la suggestion d’une « MIGA verte » spécialisée dans les financements de développement durable).
12. Veiller à une bonne articulation de ces concours publics avec les financements (dette et equity) d’origine privée :
• Eviter que des concours publics s’appliquent à des projets intrinsèquement finançables ou viennent soutenir des projets présentant un TRI socio-économique manifestement insuffisant
• Choisir et calibrer ces concours au cas par cas en fonction de la faille de marché qu’ils sont amenés à combler : assèchement des marchés financiers, profil de risque, ROE/TRI des projets
• Les utiliser dans des cas particuliers propres aux pays émergents pour rééquilibrer une situation dans laquelle une offre française serait handicapée par rapport à celle de concurrents du fait des soutiens publics dont ceux-ci bénéficieraient.
Porter une attention particulière aux marchés émergents
13. Développer la synergie entre les crédits d’aide au développement de l’AFD et la promotion du savoir-faire français en matière de développement et de financement des infrastructures
• Inscrire ces financements dans des « programmes d’actions pays »
• Mettre en œuvre ces financements en étroite liaison avec les acteurs privés industriels et financiers pour une efficacité accrue.
14. « Benchmarker » le système français de soutien à l’exportation par rapport à ses concurrents
• Revisiter les outils existants de financement export pour les assouplir de façon sélective : élargissement de certains critères comme la définition de la part française ou l’intégration de parts européenne et locale, affranchissement vis-à-vis des règles OCDE dans des situations spécifiques de concurrence, élargissement des bénéficiaires de la garantie Coface, et mise en place d’une approche spécifique aux grands contrats
• Analyser en détail les caractéristiques techniques des différents systèmes de garantie par rapport à ceux mis en place par nos principaux concurrents et le cas échéant proposer des améliorations.
15. Instaurer aux côtés des institutions existantes un pôle de financement des grands projets et investissements français à l’international
• Envisager la création d’un nouvel outil financier public pour l’accompagnement en dette et equity des opérateurs nationaux au service de la grande exportation, à l’image notamment de la JBIC japonaise, en intégrant cette réflexion dans la perspective de rapprochement entre les groupes AFD et CDC et en complémentarité avec d’éventuels instruments européens
• Considérer l’ensemble de la palette des outils (equity, dette, garanties), dans un souci constant d’adaptation aux mutations en cours vers des infrastructures « green » et « smart ». Viser particulièrement à élargir la capacité d’intervention en capital, l’offre publique et privée - bien que très significative - ne suffisant pas à répondre à toutes les situations de risque ou de taille de projets, en recherchant un maximum de complémentarité entre equity publique et equity privée. »